Un sondage montre les paradoxes des Français en matière de lutte contre le terrorisme. Et administre une double leçon politique. À bon entendeur...
Une majorité de Français (58 %) juge que le président de la République et le gouvernement ne mettent pas tout en œuvre contre la menace terroriste. C'est moins qu'en juillet 2016 après l'attentat de Nice (65 %), mais c'est encore beaucoup. Et en même temps, une plus large majorité encore considère que l'opposition ne ferait pas mieux. Derrière ce paradoxe, une simple question de bon sens : en tout domaine, on peut faire mieux, mais, en matière de terrorisme, le risque zéro n'existe pas. Faire croire le contraire, prétendre que tel attentat n'aurait pas eu lieu si telle mesure avait été appliquée, relève au mieux de la démagogie, au pire de l'irresponsabilité.
De même, une majorité de Français (56 %) considère que les responsables politiques devraient s'abstenir d'instrumentaliser les attentats pour en faire un sujet de polémique politicienne. Une pierre dans le jardin de Marine Le Pen et de Laurent Wauquiez. Et en même temps, une plus large majorité encore plébiscite les propositions de Marine Le Pen et de Laurent Wauquiez qui, justement, ont déclenché la polémique : expulsion des fichés S étrangers (84 %), rétention des fichés S les plus dangereux (73 %), déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme (72 %), rétablissement de l'état d'urgence (52 %)… On pourrait en conclure que les Français veulent à la fois plus d'union nationale et en même temps un durcissement continu de la législation antiterroriste.
Mais il y a plus paradoxal encore : une majorité écrasante de sondés soutient, par exemple, le placement en rétention des fichés S les plus dangereux (73 %)… et en même temps, ils ne sont que 41 % à juger qu'une telle mesure serait réellement efficace pour lutter contre le terrorisme.
Déplorer l'inaction des gouvernements de Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Édouard Philippe depuis janvier 2015 est une ineptie : depuis cette date, pas moins de 51 attentats ont été déjoués sur le sol français (dont 20 en 2017 et 2 depuis le 1er janvier 2018), notamment grâce au renforcement de l'arsenal policier.
Prétendre que le rétablissement de l'état d'urgence protégerait la France des attaques terroristes est une autre contre-vérité : depuis le Bataclan et les terrasses parisiennes, tous les attentats – et notamment les deux dernières attaques avant celles de Trèbes, le 20 avril 2017 sur les Champs-Élysées et le 1er octobre 2017 à la gare Saint-Charles de Marseille – ont été réalisés sous état d'urgence.
Considérer enfin que la rétention des fichés S dangereux ou l'expulsion des fichés S étrangers – mesures qui n'existent dans aucune démocratie – seraient la panacée est un autre mensonge : plus de la moitié des terroristes impliqués dans les attentats perpétrés sur le sol français depuis janvier 2015 n'étaient pas fichés S. D'ailleurs, ceux qui soutiennent le placement en rétention des fichés S les plus dangereux ne répondent jamais à ces deux questions : 1) À partir de quels critères et sur quel fondement juridique déciderait-on de la dangerosité et donc de la privation de liberté ? 2) Quelque 19 750 personnes sont actuellement répertoriées sur le FSPRT (fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste). Parmi eux, plusieurs milliers suivis de près par les services de renseignements. Où et dans quelles conditions enfermerait-on, du jour au lendemain, plusieurs milliers de personnes ?
Ce sondage Elabe administre en réalité une double leçon politique. Leçon à l'attention de la patronne du FN et du nouveau chef de file des Républicains : la démagogie ne suffit pas à rendre crédible un responsable politique, a fortiori dans un moment d'intense émotion nationale. L'attentat du Super U de Trèbes, dans l'Aude, aurait sans doute justifié de leur part, sinon plus de décence, du moins plus de retenue. Leçon aussi à l'attention du chef de l'État, de son Premier ministre et de son gouvernement : il n'y aurait rien de pire que de laisser croire qu'en matière de lutte contre le terrorisme (245 morts au cours de 10 attaques en moins de trois ans) on ne peut rien faire de plus ou de mieux.
Depuis son accession à l'Élysée, Emmanuel Macron a sans conteste traité la dimension sécuritaire du problème, notamment en faisant voter le 1er novembre dernier une nouvelle loi antiterroriste beaucoup plus répressive. On attend encore sa réponse sur la dimension idéologique et religieuse. Certes, il a évoqué le sujet à maintes reprises – notamment le 4 janvier dernier, à l'occasion de ses vœux aux autorités religieuses, et le 7 mars, lors du dîner annuel du Crif. Il a aussi promis un grand discours sur la laïcité et une restructuration de l'islam en France. Sans doute le moment est-il venu de dire et d'agir.